Michel Portier répond aux questions du Ja mag sur le futur de l’agriculture française

michel portierMichel Portier, agriculteur et directeur général d’Agritel, société experte en stratégies  des marchés agricoles  et agro-industriels répond aux questions du « JA mag » sur le futur de l’agriculture française.

Comment la France peut-elle retrouver son ambition laitière d’avant la fin des quotas sans créer de déséquilibre sur les marchés ? La production laitière de la France était bridée par les quotas. Son ambition l’était aussi. Avec la fin des quotas, la France peut trouver ou retrouver une place de choix parmi les producteurs européens, voire mondiaux, sans déséquilibrer les marchés. Notre marché intérieur est plutôt bien alimenté. Le marché export doit être encouragé. Il ne faut pas mettre en opposition les petites, les moyennes et les grandes exploitations, type 1 000 vaches qui pourraient répondre à un marché export. On peut avoir une agriculture de territoire, de proximité, avec une traçabilité forte qui répond aux attentes sociétales des consommateurs. Il faut segmenter les marchés. Il existe une demande pour du bio, du raisonné et du conventionnel.

Sur le marché international, il va falloir se battre avec les Irlandais, les Néerlandais, les Allemands et les Néo-Zéolandais en faisant du lait standard, ce qui passe par une industrialisation des processus de fabrication. En Allemagne, certaines fermes comptent 3 000 vaches. Différents systèmes doivent cohabiter.

Ce qui manque dans ce marché, c’est de la visibilité pour les éleveurs pour se projeter et investir. Nous prônons la création d’un prix prospectif ou prix forward à trois ans sur lequel les éleveurs et les industriels pourraient se baser pour contractualiser sur un prix futur. Mais cela demande une vraie politique de transparence de la part des industriels.  Le producteur peut également utiliser des outils pour sécuriser ses achats et mieux maîtriser ses coûts de production en passant par les marchés à terme, notamment pour les tourteaux de colza.

Les producteurs français ne doivent pas avoir peur de l’avenir. Ils ne doivent pas avoir peur d’aller se battre sur les marchés concurrentiels.

Vous dites qu’il faut préserver la diversité des modèles agricoles. Vous pensez que cette diversité est en danger ? Elle n’est pas en danger, mais il faut la cultiver, la respecter, l’encourager et ne pas opposer les modèles.

Au sujet du blé, vous affirmez que la France doit être en capacité de répondre à des cahiers des charges de plus en plus exigeants, ne le fait-elle pas aujourd’hui ? Vous pourrez faire les efforts agronomiques que vous voulez, cultiver du blé de force, raisonner la fertilisation… le facteur le plus déterminant aujourd’hui dans la qualité du blé, c’est la météo. Des études ont été réalisées sur les différences entre les taux de protéine du blé français et du blé allemand. À parcelle, variété, sols, itinéraires culturaux égaux, le blé allemand a une teneur supérieure en protéine. Cela s’explique simplement par la localisation des exploitations allemandes, situées plus au Nord que le Nord de la France. Les exploitations allemandes bénéficient de mai à juillet d’une meilleure luminosité et, donc, d’une meilleure photosynthèse. Il faut donc arrêter de culpabiliser les céréaliers français ! En Russie, c’est à peu près le même contexte.

Par ailleurs en France, il faut arriver à concilier contraintes environnementales, dont la directive Nitrates, et exigences des marchés à l’export. Enfin, la France doit encourager la recherche variétale.

Comment limiter la volatilité du prix des engrais ? Le prix des engrais est dépendant des marchés mondiaux. Nous sommes dépendants de la production d’urée, du prix de l’énergie. On ne peut donc pas limiter la volatilité du prix des engrais. En revanche, on peut en limiter l’impact. Les coopératives et les négociants pourraient s’approprier le marché à terme de l’azote d’Euronext et le proposer aux agriculteurs. La filière pourrait ainsi donner de la visibilité sur trois ans aux producteurs.

Les exploitants agricoles doivent apprendre à vivre avec la volatilité des prix, mais peuvent utiliser les outils de couverture. Il faut rappeler que ces inputs représentent 40 % des charges proportionnelles. Si vous avez une visibilité sur vos prix à trois ans à rende-ment constant et sur vos coûts de production, cela vous permet de limiter l’impact de la volatilité sur votre revenu. Sinon, il y a une règle simple à appliquer : fractionner les achats en suivant les marchés pour sa stratégie d’achat.

Les aléas climatiques se multiplient. Quelle est votre vision de la gestion des risques en France ? En Europe ? Pour couvrir les risques de prix, ce sont les marchés à terme. Pour les risques de rendement, c’est de l’assurantiel. Mais le seuil des 30 % de l’assurance socle doit être revu pour être plus attractif, notamment dans les régions à faible rendement, car, sinon, elle ne couvre pas les charges engagées pour la contracter. Nous nous acheminons vers des systèmes à l’américaine avec des assurances prix, chiffres d’affaires… Il faudra une enveloppe budgétaire européenne en augmentation, car qui dit meilleure assurance et meilleure couverture, dit augmentation des coûts.

Il faut faire un transfert des coûts de couverture du risque aux consommateurs. Il faut cesser la course aux bas prix des GMS, car on va rendre les agriculteurs incapables de produire. La disparition des exploitations agricoles est liée à la politique de prix bas des GMS. Les consommateurs doivent comprendre que la disparition des exploitations nous rend dépendants des marchés extérieurs, entraîne du chômage, l’insécurité alimentaire… Notre indépendance alimente a un coût. Il faut en faire payer le prix aux consommateurs ! Le consommateur doit payer pour le service rendu !

Vous êtes un des acteurs de l’analyse des marchés agricoles, que pensez-vous de l’idée de sortir les produits agricoles des grands accords commerciaux ? Cela me paraît compliqué ! Mais il ne faut pas sacrifier les produits agricoles au profit des produits industriels. Il faut rééquilibrer les rapports de force.


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