La mirabelle de Lorraine prend un coup de jeune

La mirabelle a bien failli disparaître de Lorraine, avant que des producteurs ne relancent une dynamique collective. Rencontre avec Bertrand Perrin et une nouvelle génération d’arboriculteurs.

Ce matin du 30 août 2016, le soleil annonce la couleur : il fera chaud à Gugney-aux-Aulx (Vosges). Cette perspective n’empêche pas deux ramasseurs de courir pour tendre une grande bâche verte au pied d’un mirabellier. Le tracteur surgit, la pince du vibreur saisit l’arbre et le secoue. Une pluie de petits fruits dorés tombe sur la bâche. Dans une parcelle voisine, le bruit des machines a disparu. Une quarantaine de cueilleurs, perchés sur leur escabeau, récolte les petites perles sucrées et juteuses. Durant cinq semaines, ces scènes se répètent dans les vergers des Gaudines. «Cette année, nous récolterons 400 t de mirabelles», lance dans un sourire Bertrand Perrin, jeune arboriculteur.

C’est peu dire que la mirabelle est emblématique de la Lorraine. Les 200 producteurs de la région fournissent 70 à 80% de la production mondiale. Les mirabelliers y apprécient les réserves d’eau octroyées par les sols argileux. Les écarts de température importants entre jour et nuit favorisent la maturation des fruits. Pourtant, la mirabelle a bien failli disparaître des collines lorraines.

« Une dynamique est née au début des années 80», raconte Bertrand. Les arboriculteurs se sont professionnalisés, remplaçant le modèle traditionnel (des arbres au milieu des parcs à bovins) par des vergers spécialisés, les coopératives se sont regroupées. Des efforts qualitatifs reconnus en 1996 par l’IGP Mirabelle de Lorraine. Une première pour un fruit. En 2013, le conseil régional lance le plan Dar Dar pour soutenir les nouvelles plantations. L’objectif ? Accroître le verger de 200 ha d’ici 2018 (contre 1800 actuellement). La renaissance de la mirabelle de Lorraine est le fruit d’une « aventure collective», à laquelle Bertrand est fier de participer. Dans son exploitation, le verger de mirabelles s’est progressivement développé, passant d’une quinzaine d’ha dans les années 80 à 38ha aujourd’hui. Au point d’y réaliser maintenant « la moitié de notre chiffre d’af- faires».

« Facile de s’impliquer dans cette petite filière». «La génération qui a relancé la production est en train de partir à la retraite », explique le jeune producteur. Ses parents ne sont pas agriculteurs. «Je passais toutes mes vacances à la ferme de mon oncle, je ne sais plus combien j’ai fait de récoltes de mirabelles ! » Installé en 2015, en même temps que son cousin Pierre-Vincent Houot, il fait partie de la nouvelle génération d’arboriculteurs. Et le renouvellement est en bonne marche. Bertrand siège au conseil d’administration de Végafruits, qui regroupe les trois coopératives productrices de mirabelles. « Sur 16 membres, il y a quatre jeunes de moins de 40 ans. Nous sommes une petite filière, il est facile de s’impliquer. Pour exister, les producteurs ont tout construit : la commercialisation, la recherche (avec une station d’expérimentation), le suivi technique, etc.»

Avec un troupeau laitier et un verger diversifié, l’exploitation de Bertrand et de ses associés est représentative de son secteur. «Le mirabellier est très alternant» : les bonnes récoltes sont en général suivies par une mauvaise. Cette difficulté de fournir des volumes réguliers aux industriels a été «un frein pour le développement de la filière». Les producteurs se sont donc organisés pour lisser la production. Et ça commence dès la taille hivernale, où il faut certaines années «calmer» l’ardeur fruitière des mirabelliers. Puis, quand les bourgeons, puis les fleurs apparaissent, les arboriculteurs estiment la charge fruitière des arbres. Une information capitale pour les commerciaux, en l’absence de régulation des volumes à long terme. «Tout ce qui est récolté est collecté», insiste Bertrand.

Un fruit multi-débouchés. Car l’une des forces de la mirabelle, c’est d’être un fruit multi-débouchés. Les fruits du bas des arbres sont cueillis à la main et consommés frais (fruits de bouche). Ceux du haut, inaccessibles, sont récoltés à la machine. « Ils se conservent moins longtemps et sont donc destinés à la transformation. » Compote, purée, pots pour bébé, cosmétiques (avec l’huile de noyau) ou encore eau de vie (marché de dégagement) : les débouchés sont multiples. Et ils le sont encore plus depuis que Végafruits a investi dans une unité de surgélation en 2003. 75% de la production de mirabelles de Lorraine respecte le cahier des charges de l’IGP, gage d’une meilleure valorisation. Les qualités requises ? Maturité (teneur en sucre), calibre et traçabilité. «Plusieurs débouchés, cela veut aussi dire plusieurs prix», explique Bertrand, qui peut toucher entre 20 centimes et un euro pour un kilo de mirabelle vendu. «Notre stratégie, c’est de cueillir un maximum de fruits de bouche.» Bertrand et ses associés produisent aussi des quetsches et des cerises. «L’année prochaine, nous allons planter un hectare de pêches de vigne. C’est important de se diversifier. Mais je crois beaucoup à l’avenir de la mirabelle.»


Continuer la lecture...