Sébastien Picardat, directeur d’API-AGRO, s’explique

sébastien picardotAPI-AGRO permet aux opérateurs d’exposer et d’échanger des données agricoles, notamment pour concevoir ou alimenter des outils d’aide à la décision, explique son directeur Sébastien Picardat. En toile de fond se pose la question du retour de la valeur aux agriculteurs.

Qu’est-ce qu’API-AGRO ? Au lancement, en 2016, l’objectif était de mettre à disposition gratuitement les données issues de projets de recherche menés par des instituts techniques, avec des financements Casdar. L’idée, c’était de créer un catalogue pour des jeux de données et des algorithmes. Le positionnement d’API- AGRO a évolué en 2018 pour devenir une place de marché mettant en relation des opérateurs qui possèdent des données avec d’autres qui veulent y avoir accès. Entre les deux, il faut régler des questions d’interopérabilité, de consentement, de sécurité, etc. C’est le rôle d’API-AGRO, qui assure la partie technique, la mise en relation juridique – pour le consentement notamment – et la mise en marché. API-AGRO est une SAS (Société par actions simplifiée, NDLR). Outre l’Acta (le réseau des instituts techniques agricoles), les chambres d’Agriculture et le Geves, une quinzaine de structures privées ont investi au capital : Isagri, Smag, Syngenta, Gènes diffusion, etc.

Quelles sont les données présentes sur API-AGRO ? Elles prennent différentes formes: fichiers PDF, Excel, images, etc. Et il y a les algorithmes de base. Par exemple, on peut trouver les données de l’Index phyto de l’Acta, celles du RPG (Registre parcellaire graphique), des données météo, etc. Il n’y a pas de taille limite et l’information peut être structurée ou non. En fait, API-AGRO est un catalogue d’offres. Soit elles restent stockées chez l’émetteur et sont accessibles par API (interface de programmation applicative), soit le jeu de données est déposé sur la plate-forme. Ensuite l’émetteur peut décider de donner l’accès à tous ou de le réserver à certains, voire de rendre les données payantes.

Les données présentes sont-elles accessibles à tous ? Pour accéder à API-AGRO, il faut un abonnement, avec différents niveaux de forfaits. Le seul prérequis, c’est de posséder un numéro Siret. Sur le principe, un agriculteur pourrait se connecter pour accéder à des données brutes, même si son intérêt est plutôt de bénéficier de services digitaux proposés par ses partenaires habituels.

Pourquoi « sur le principe»? Quels sont les utilisateurs des données ? Ce sont des données brutes, des algorithmes. Telles quelles, elles n’apportent pas de valeur ajoutée. Les premiers utilisateurs sont ceux qui veulent développer des services digitaux. Donc un agriculteur peut y avoir accès, mais, ensuite, il faut pouvoir les traiter.

Sur API-AGRO, il est donc possible d’acheter et de vendre des données ? Oui, même si aujourd’hui il s’agit plutôt d’échange et de collaboration entre les émetteurs et les utilisateurs. La monétisation est possible, mais elle est très en- cadrée. Il y a des réglementations pour protéger les données personnelles et celles des entre- prises. On ne fait pas n’importe quoi avec les

données, la dimension Far West, c’est fini. On pense que la monétisation va aller croissante. Mais, aujourd’hui, on a plutôt une demande pour structurer et organiser les données, avant de voir comment les valoriser économiquement.

Quel intérêt de déposer ou d’exposer des données sur API-AGRO ? Il y a plusieurs types de cas d’usage. Par exemple, une firme peut mettre à disposition les informations sur ses produits et chaque distributeur se branche sur cette base de données, plutôt que chacun ait la sienne en propre. Dans ce cas, il n’y a pas de monétisation. La plateforme peut aussi être un moyen pour les opérateurs d’une filière de partager des données. Enfin, certaines données peuvent être monétisées, comme celles que l’Acta a développées sur les usages phytosanitaires. Elles ont de la valeur, l’Acta pourrait choisir de leur mettre un prix. Si l’on prend un autre cas pratique, l’éditeur d’Agroptima, un logiciel de gestion parcellaire, utilise la base de données Geves des semences homologuées en France, qui est à disposition sur API-AGRO.

Ces données sont-elles collectées chez les agriculteurs ? Sur la plateforme, on peut trouver des jeux de données provenant d’exploitations agricoles. Elles ne sont pas collectées directement auprès des agriculteurs. Par exemple, elles peuvent venir d’éditeurs de logiciels de suivi de gestion parcellaire, dans le respect du consentement donné par l’agriculteur. C’est bien lui qui décide, en fonction des conditions générales de vente auxquelles il a souscrit. C’est essentiel que l’agriculteur reste maître de ses données, c’est d’ailleurs la base de l’initiative Datagri, lancée en 2018.

Quel est l’intérêt pour l’agriculteur ? D’une part, ces échanges de données peuvent per- mettre de créer des outils qui lui serviront pour piloter son exploitation. On peut imaginer par exemple que des données météo au niveau d’un territoire soient utilisées par Arvalis pour construire un algorithme qui donnera naissance à un OAD sur une maladie. D’autre part, au niveau des filières, l’existence d’une plateforme comme API- AGRO est un gage de liberté pour l’agriculteur: il échange ses données avec qui il veut.

Comment voyez-vous l’avenir des échanges de données en agriculture ? Le problème, c’est qu’aujourd’hui on a une grande hétérogénéité dans la structuration des données selon les filières, les opérateurs, etc. Il manque une véritable vision collective et fédératrice. Le risque, c’est que cette valeur soit captée par un nouvel acteur entrant du numérique. Dans un scénario catastrophe, on peut même penser que les Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) ou les Chinois comme Alibaba s’emparent du sujet. Si ces acteurs maîtrisent toute la chaîne de la donnée, depuis la collecte des don- nées de l’exploitation agricole, leurs échanges, leur traitement et leur restitution, ce sont eux qui ont la main. Les agriculteurs risqueraient l’intégration numérique. Il est encore temps d’agir!

 

 


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