Gil Rivière-Wekstein, journaliste et auteur de « Panique dans l’assiette, ils se nourrissent de nos peurs » répond aux questions de JA mag au sujet de son livre.

gil riviere weksteinJournaliste et auteur de « Panique dans l’assiette, ils se nourrissent de nos peurs », il répond aux questions du « JA mag » au sujet de son livre. Il a mené une enquête approfondie pour démonter les mécanismes à l’œuvre dans la fabrique des peurs alimentaires. Grande distribution et ONG y participent plus ou moins activement.

Les peurs alimentaires sont-elles surtout le fait des urbains ? Non, elles touchent tout le monde, comme en témoigne un sondage de TNS Sofres-Food 360 datant de 2016, qui note que près de 80 % des Français se disent préoccupés quant aux effets de leur alimentation sur leur santé. C’est 20 points de plus qu’en 2014. C’est d’autant plus invraisemblable que, jamais dans l’histoire, les circuits alimentaires n’ont été aussi sécurisés  !

L’industrie agroalimentaire qui véhicule des images d’Épinal de l’agriculture est-elle en partie responsable de ces craintes croissantes ? Absolument. À force de véhiculer des images d’Épinal sur l’agriculture, une partie de l’industrie agroalimentaire maintient la population dans une vision nostalgique de l’alimentation, confortant l’idée que la nourriture était meilleure et plus saine avant. Mais ce n’est pas tout, dans certains cas, des grands noms de la distribution ont participé au financement de campagnes anxiogènes mettant en cause certaines filières.

Diriez-vous que ces angoisses sont instrumentalisées ? À qui profitent ces peurs ? Il y a en effet une convergence d’intérêts de différents groupes qui profitent de ces peurs. C’est le cas de certaines ONG qui ont fait de cette peur alimentaire un levier de notoriété ou un instrument facilitant leurs collectes de fonds. Ainsi, elles se présentent comme les fers de lance du combat pour une meilleure alimentation alors que ce n’est qu’une imposture. Certaines d’entre elles, comme Générations futures, sont partiellement financées par les acteurs industriels qui en profitent commercialement. Il est évident – et largement admis – que le boom de l’agriculture biologique est nourri par ces peurs alimentaires, une partie des consommateurs ne souhaitant plus manger d’aliments qui contiendraient des pesticides. Or, du point de vue de la santé, cette crainte est totalement infondée. Mais il y a aussi l’émergence d’autres créneaux, comme les filières sans colorants, sans conservateurs, sans gluten, sans OGM… Ces produits qui envahissent les rayons de la grande distribution sont vendus plus cher et, sur ces produits, les marges des GMS sont plus importantes. En outre, cela permet à la grande distribution d’apparaître comme « écologiquement responsable » et donc d’esquiver des sujets plus sensibles comme la juste répartition de la valeur ajoutée.

Les peurs alimentaires sont-elles un phénomène contemporain ? Non, elles ont toujours existé, mais elles étaient d’une autre nature. Aujourd’hui, on a surtout peur de tout ce qui n’est pas naturel dans l’alimentation, tout ce qui serait « chimique ». Or, pendant longtemps, on craignait davantage – à juste titre – de ne rien avoir dans son assiette ou d’être victime d’intoxication alimentaire. Et on avait raison, car les intoxications alimentaires d’origine naturelle en-traînaient de très nombreux décès.

Ensuite, il y a les peurs de la nouveauté dans l’alimentation. Cela a toujours existé, comme en témoigne l’histoire connue d’Antoine Parmentier pour faire accepter la pomme de terre. C’est moins le cas aujourd’hui, puisqu’on voit les consommateurs adopter très facilement des aliments venant du monde entier. De nos jours, ce n’est plus tant la nouveauté qui fait peur, mais plutôt les modes de production qui sont éloignés du consommateur final.

Comment les contrer ? Il faut rassurer le consommateur, lui expliquer comment fonctionne la fabrique de la peur et lui préciser à qui cela profite. Car, au final, ce sont les consommateurs et les agriculteurs qui sont les dindons de la farce. Il faut tenir un discours de vérité pour aider les consommateurs à reprendre confiance dans la production agricole française, qui est d’excellente qualité. Il y a un vrai travail à faire pour retrouver cette confiance. Il ne s’agit pas de dire : « On va faire mieux », mais déjà d’expliquer très pédagogiquement ce que l’on fait, car ce que nous faisons est excellent.

Quels sont les dangers du marketing du « sans » ? C’est surtout de dépenser davantage sans aucune raison sanitaire. Mais à force de regarder son assiette comme une source d’anxiété, on risque de sombrer dans l’orthorexie, une pathologie qui progresse en France. Moins grave, mais pas moins inquiétant, on sait que se priver de produits à base de gluten – lorsque vous ne faites pas partie des personnes réellement intolérantes au gluten (environ 1 % de la population) -, c’est aussi avoir une moins bonne protection face aux maladies cardiovasculaires.

À la fin de votre ouvrage, vous parlez de la viande rouge et de l’étude du Centre international de recherche sur le cancer (Circ) en abordant un point qui n’a pas été relayé par les médias. Pouvez-vous nous en parler ? J’ai interviewé l’un des scientifiques qui a participé à la rédaction de l’avis sur la viande rouge au Circ. Or il m’a révélé que certes la viande rouge en excès pouvait avoir un effet cancérigène sur l’intestin en raison de la présence de fer héminique pourtant indispensable pour le sang, mais que cet effet négatif était annulé lorsqu’on accompagnait la viande d’un verre de vin rouge, d’un produit laitier ou d’aliments comme des amandes. Ces aliments sont capables de contrer l’oxydation des lipides par le fer héminique.

C’est pourquoi tous les nutritionnistes compétents s’accordent aujourd’hui sur le fait qu’une bonne alimentation reste une alimentation diversifiée. Il faut retrouver de la mesure dans les propos et surtout… le plaisir de bien manger !

La vache folle un tournant dans les peurs alimentaires ? En effet, la gestion de cette crise a fait prendre conscience à certains mouvements, notamment ceux issus de l’écologie politique, que le sujet de l’alimentation et de la santé était non seulement très mobilisateur, mais qu’il pouvait faire changer la loi. Ces mouvements se sont saisis du dossier alimentaire non pas pour apporter une meilleure alimenta-tion aux citoyens, mais dans le but de changer le modèle agricole actuel. Au départ, c’était surtout pour mettre en cause ce qu’on appelle le « modèle productiviste », mais depuis, c’est un modèle agricole fantasmé, qui serait porté par la FNSEA et JA, qui est mis en cause.

La question du bien-être animal vient se greffer à ces craintes ? Il y a des gens qui ne consomment pas de viande, car ils pensent que c’est mauvais pour leur santé. Ils restent toutefois minoritaires. Sur la viande, on est moins sur la question de peurs alimentaires que, de notre relation aux animaux. C’est, selon moi, l’un des sujets qui va devenir majeur dans les années à venir et il est important que les filières animales prennent conscience dès maintenant des enjeux. Certaines filières de remplacement de la viande se mettent déjà en place, profitant de ce marché en pleine expansion.

À la lecture de votre ouvrage, des détracteurs pourraient vous demander : « Êtes-vous pro-OGM et anti-agriculture biologique ? » Les peurs alimentaires associées aux OGM sont clairement infondées. Aucune des variétés transgéniques mises sur le marché n’a causé le moindre incident sanitaire. Ce qui n’est pas le cas des filières bio. Rappelez-vous des 53 décès provoqués par la présence d’une bactérie sur des graines germées bio, qui a eu lieu en 2011. C’est de loin l’une des plus graves crises sanitaires vécues en Europe. Bien entendu, ce drame ne met pas en cause tous les produits issus de l’agriculture biologique, qui n’est rien d’autre qu’un mode de production avec un cahier des charges spécifique. En revanche, faire croire que les aliments qui en sont issus seraient meilleurs pour la santé participe à cette fabrique de la peur que je dénonce dans mon livre.


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