« De retour d’Afrique de l’Ouest, je pense que nous serions naïfs de croire pouvoir montrer l’exemple »

Pierrick HorelPrésident

Avec mon collègue Maxime Buizard-Blondeau, le voyage au Bénin et au Togo, organisé par AFDI – que je remercie chaleureusement pour cette immersion – nous a offert une claque salutaire. Alors que je passe mes journées à défendre les intérêts des agriculteurs français, dans notre pays où les outils, les institutions ou les aides sont bien structurés, j’ai découvert une autre réalité agricole où chaque avancée est une victoire arrachée à la sueur et à la détermination de chacun.  

Là-bas, j’ai vu une énergie folle pour se structurer, innover et avancer, malgré des contraintes politiques et économiques très lourdes. Alors que les agriculteurs français et européens sont confrontés à des problèmes d’ampleur que ce soit sur un plan démographique, climatique, géopolitique, nous pouvons, l’espace d’un instant, faire un pas de côté.  

Une structuration agricole qui force l’admiration 

En France, nous critiquons à raison nos systèmes, nos lenteurs administratives ou nos normes. Pourtant d’après ce que j’ai vu au Togo et au Bénin, nous ne partons pas de la même situation. Les jeunes agriculteurs s’y battent pour accéder à des financements, à des aides à l’installation, ou simplement à des parcelles de terre, dans un contexte où les régimes politiques sont peu stables et les infrastructures souvent défaillantes. Pourtant, leur détermination à créer des coopératives, à mutualiser leurs moyens et à innover est impressionnante. 

Un exemple marquant : la visite d’un riziculteur togolais, qui cultive manioc, bananes, maïs et soja sur 7 hectares et emploie 11 personnes. En France, un tel ratio main-d’œuvre/surface serait impensable économiquement, mais là-bas, c’est une réalité qui soulève un paradoxe saisissant : eux rêvent de mécanisation pour gagner en efficacité, tandis que nous, en Europe, nous rêvons parfois d’une main-d’œuvre plus accessible pour maintenir nos exploitations. Ce décalage m’a fait relativiser nos propres défis et m’a rappelé que nos combats, aussi légitimes soient-ils, restent ceux de pays qui n’ont pas même histoire.

Des rencontres qui changent le regard sur le changement climatique : un combat commun, mais des réalités opposées 

Ce qui m’a le plus marqué, c’est l’accueil et la générosité des agriculteurs et partenaires locaux. Malgré leurs moyens limités, ils nous ont reçus plein d’attentions, de sourires et de partages. Ces moments d’échange au bord dun champ ou autour d’un bassin piscicole, m’ont rappelé que l’agriculture est d’abord une histoire humaine de solidarité et de transmission. 

Les discussions avec les représentants syndicaux ont aussi révélé une réalité crue : celle des distorsions entre nos normes européennes et leurs pratiques locales. Comment leur expliquer qu’il ne faut pas utiliser certains engrais ou brûler des déchets, alors que ces méthodes persistent faute d’alternatives accessibles et abordables ? Ce voyage m’a convaincu que la coopération agricole ne peut réussir que si elle est fondée sur l’écoute, l’accompagnement et le respect des réalités locales, et non sur l’imposition de nos standards.

Le changement climatique est un défi global, mais les moyens d’y faire face ne sont pas les mêmes partout. En Afrique, les agriculteurs subissent déjà ses effets de plein fouet, mais ils n’ont pas toujours accès aux outils ou aux financements pour s’adapter. Pendant ce temps, en Europe, nous débattons de normes toujours plus strictes, parfois déconnectées des réalités du terrain. 

Ce voyage m’a ouvert les yeux : si nous voulons vraiment limiter le réchauffement climatique, il faut que tout le monde puisse agir, mais avec des solutions adaptées à chaque contexte. Sinon, nous risquons de créer des distorsions économiques et un sentiment d’injustice. Nos bonnes intentions peuvent vite devenir un fardeau pour ceux qui ont déjà si peu.

L’humilité comme leçon, voire comme méthode  

Revenir de ce voyage, c’est revenir avec une certitude : nos combats en France, aussi justes soient-ils, peuvent s’inscrire dans une vision plus large. La résilience des agriculteurs togolais et béninois, leur capacité à innover malgré les obstacles, et leur générosité malgré la précarité, sont des leçons d’humilité. 

Je pense que nous serions naïfs de croire pouvoir montrer l’exemple. Si on veut atteindre nos objectifs de limiter le changement climatique, il faut que tout le monde prenne conscience de l’urgence et qu’on fasse le choix de la coopération et de l’accompagnement, sans coercition ni condescendance. C’est un travail passionnant, mais nous serions à côté de la plaque en France et en Europe si nous n’acceptions pas la réalité et si nous continuions à nous contraindre nous-mêmes avec des règles trop strictes. Tout ce qu’on a construit en exemple ici ne fonctionne pas là-bas. 

Je remercie encore une fois AFDI, que Jeunes Agriculteurs a cofondée il y a 50 ans, pour cette immersion inoubliable, ainsi que tous les partenaires locaux qui nous ont accueillis avec tant de chaleur et de transparence. Ce voyage a renforcé ma conviction que l’agriculture de demain se construit aussi au-delà de nos frontières. 


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