Didier Nedelec, directeur général d’Offre et demande agricole (ODA).
Hausse de la consommation mondiale, concurrence de la Mer noire, atouts de la France à l’export : tour d’horizon avec ce connaisseur des marchés mondiaux.
Comment s’annonce 2018 pour les céréaliers français ? En Europe, le potentiel de baisse des prix est quasi nul. Tout le monde est convaincu que la baisse va continuer. En réalité, les prix ne peuvent que remonter. Au niveau mondial, les stocks de fin de campagne semblent importants sur le papier, mais ils sont très inégalement ré- partis. Ils augmentent en Chine et reculent partout ailleurs. Or, la Chine n’a pas vocation à participer au marché mondial: le prix de la tonne de blé y est de 350$ et les zones de production sont éloignées des ports.
Alors, pourquoi les prix sont-ils si bas ? La cause unique, principale et entière de la baisse des prix en Europe, c’est l’évolution de la parité euro-dollar. Notre agriculture y est exposée, car elle est fortement exportatrice.
À l’export justement, les céréaliers français doivent-ils craindre la concurrence de la Mer noire ? Oui, la Russie revient. Oui, ils ont le potentiel et ils vont produire de plus en plus. Mais le marché en a besoin. Il ne faut pas en avoir peur. N’oublions pas que leur rendement moyen en blé est de 3,5t/ha et que le nôtre est de 7, 8, voire 9 t chez les meilleurs. Je veux tordre le cou à une croyance : les Russes et les Ukrainiens arrivent à produire du blé à 100 $, mais ils sont beaucoup, beaucoup plus loin de leurs ports que nous. Nous ne pouvons pas lutter sur les produits sans technicité, à faible valeur ajoutée, comme le tournesol classique, le lin ou les protéagineux. Par contre, pour les cultures les plus techniques (semences, légumes, betteravesucrière, produits bio, pommes de terre fritables), la France est quasiment imbattable. Et on oublie souvent un autre atout de la France: sa logistique de très haut niveau.
Le marché mondial peut donc absorber le surplus de récolte russe… Les Russes ont engrangé, semble-t-il, une immense récolte de blé, de 80 à 83 Mt. Le marché mondial était à 190$ avant la récolte russe, il est passé ensuite à 200 $. Cela veut dire que la demande mondiale est exceptionnelle. Au niveau mondial, la démographie continue à se développer de façon importante : chaque année, c’est l’équivalent de l’Allemagne qui s’ajoute à la population mondiale ! En céréales principales (maïs, blé et orge), la consommation mondiale augmente d’environ 40 Mt par an depuis 10 ans. Fait étrange, c’est la cinquième année de suite où la production dépasse la consommation, alors que cette consommation est en augmentation. On bat des records de production partout dans le monde ! Jamais dans l’histoire de l’humanité, on n’a vécu quatre années de suite où tout se passe bien au niveau mondial, et là on commence la cinquième année… Nous n’arrivons pas à expliquer cette situation bizarre. Mais le point fondamental pour comprendre les marchés, ce n’est pas l’offre, c’est la demande.
Pour les céréaliers français, quelle est cette demande ? Un tiers du blé français est consommé en France, un autre tiers en Europe et le dernier tiers dans le reste du monde. Comme les autres pays développés, notre pays est vieillissant. Ça veut dire que les gens mangent moins et ont envie d’une nourriture éthique, qui ait du sens. C’est un phénomène normal et parfaitement documenté ! Ce n’est pas la peine de lutter, il faut en tenir compte et en bénéficier si possible. En Europe, ensuite, il y a les Latins qui mangent et les Anglo-saxons qui se nourrissent. Il faut là aussi répondre à ces deux attentes: plaisir et fonctionnel. Enfin, pour le reste du monde, le blé français est bien positionné. Mais les consommateurs des pays en développement n’ont pas les moyens. Dans ces pays (l’essentiel de la population mondiale avec 6,5 Mds d’habitants), l’alimentation représente toujours une part très importante du budget: en Égypte, c’est 48%.
Vous êtes donc en phase avec le plan de filière de l’interprofession céréalière, qui vise à répondre à l’ensemble de la demande… C’est une très bonne stratégie. Mais attention à ne pas tomber dans la solution unique, car il n’y a pas deux fermes pareilles.
Ce plan fixe un objectif de coût de production de 140€/t. Est-ce réaliste ? Tout à fait, ce niveau de prix nous permet d’être compétitifs et de répondre aux attentes de nos clients. 140€/t en sortie de ferme, cela correspond à environ 170 €/t rendu Rouen, c’est parfaitement compétitif à long terme. Je dirais même que c’est une condition sine qua non pour vivre correctement de ce métier à long terme et être capable de passer les crises.
Comment atteindre cet objectif ? Il y a deux façons de voir les choses : soit on s’améliore, soit on évite de faire des bêtises. Il faut commencer par bien se connaître, soi-même et son exploitation. Attention par exemple aux charges de mécanisation trop importantes à l’ha, c’est un handicap majeur. On progresse en se comparant avec des collègues de la région qui ont des terroirs équivalents, en étant ouvert au changement. La compétitivité ne passe pas forcément par l’agrandissement, mais par des fermes bien réfléchies, bien menées,
qui tirent avantage de tous les types de clientèle autour d’eux. L’agriculture de demain, ce sera une agriculture d’entrepreneurs.
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