En Belgique, les labels ancrent le terroir dans le territoire

À travers le fromage de Herve et le jambon d’Ardenne, Madeleine Hanssen et Philippe Bouillon s’érigent en défenseurs du goût et de l’emploi local. Portraits croisés.

En Belgique, les labels ancrent le terroir dans le territoire « Vous voyez ? Ça, c’est le rouge », lance Madeleine Hanssen en indiquant une pierre qui semble couverte de rouille à l’entrée de sa fromagerie.

Perchée à 200 m d’altitude sur les hauteurs du Pays de Herve, la fromagerie se transmet de mère en fille depuis trois générations. « La bactérie Brevibacterium linens est présente dans notre sous-sol, poursuit-elle. Quand il pleut, l’eau est filtrée par la terre, les pierres, puis elle ressort par les sources. Les vaches boivent l’eau et mangent l’herbe. (…) C’est pour ça qu’on retrouve des levures du rouge dans le lait. »

Ce fameux « rouge » est à l’origine de la croûte orange du fromage de Herve, un carré moelleux et odorant qui se déguste avec du sirop de poire et fait la fierté de toute la Belgique. C’est le seul fromage AOP du pays depuis 1996. Les producteurs se comptent sur les doigts d’une main. Surtout, ce fromage recèle une histoire particulière. Apparu au 13e siècle, le fromage de Herve a connu un pic de popularité sous Charles Quint : quand l’empereur interdit aux Pays-Bas anciens d’exporter du blé, les paysans wallons se tournèrent vers l’élevage laitier et la production de fromages. Madeleine Hanssen est particulièrement fidèle à la recette originale : elle fabrique 30 t de fromages de Herve par an, exclusivement à base de lait cru. Un lait frais qu’elle achète à son voisin éleveur à 45 ct d’€/litre. « C’est ce qu’un fermier doit toucher pour avoir une qualité de vie », assure la fromagère, nommée sentinelle du mouvement Slow Food.

Du fromage zéro lactose. Dans la salle de maturation construite en sous-sol pour bénéficier d’une température fraîche et d’un taux d’humidité constant, Madeleine Hanssen chauffe le lait à 32°C. Puis elle incorpore « de la présure naturelle qui vient de l’estomac du veau » pour faire coaguler le lait et séparer le caillé du petit lait (lactosérum). « [On respecte] le temps d’acidification, le temps d’emprésurage, le temps de caillage. [On donne] le temps au temps, » insiste la fromagère. Résultat ? Le lactose est digéré et bascule dans le lactosérum, ce qui donne « un fromage zéro lactose (…) et sain pour tout le monde. »

Une fois moulés, puis égouttés, les carrés de Herve sont affinés sur grille pendant un mois et demi. Au fur et à mesure des lavages à l’eau salée, effectués à la main deux à trois fois par semaine, ils prennent leur couleur orange. « En lavant, on écrase un petit champignon (Brevibacterium linens, NDLR) et on le
pousse plus loin, pour faire avancer le rouge. »

Vendus 4 à 6,50 € les 200 g, 10 % de ses cubes orangés partent à l’export. Le reste est écoulé en Belgique : en vente directe, via des groupements de producteurs et dans quelques grandes surfaces « qui savent apprécier les bons produits.» La fromagère assure que le label AOP ne lui permet pas de gagner plus : «L’AOP, ça coûte ! J’en suis à près de 2 000 € de redevance par an. » Pourtant, elle le défend bec et ongles : «Il faut l’AOP, pour éviter la délocalisation du lait. »

L’IGP pour innover. Même constat chez Philippe Bouillon, charcutier à La Roche-en-Ardenne. Son négoce Maison Bouillon & Fils est particulièrement réputé pour son jambon d’Ardenne : un jambon fumé certifié IGP depuis 1996. « Sans l’Identification géographique protégée Jambon d’Ardenne, ce jambon pourrait être fait en Pologne », explique l’artisan. Pour lui, avoir la certification IGP n’est pas tant pour s’assurer une réputation à l’étranger – toute sa production est écoulée en Belgique – que pour faire vivre la localité : « Mon commerce fait travailler huit personnes : trois bouchers et cinq vendeuses. »

Les 1 200 jambons et 5 000 noix de jambon IGP qu’il produit chaque année partent comme des petits pains. « Je vends 80 % de ma production à la clientèle locale et aux touristes et 20 % à des bouchers et restau­rants situés dans un rayon de 80 km. » Les jambons sont salés puis fumés à la sciure de bois de hêtre et de chêne pendant deux semaines, à 35°C maximum : « C’est la tem­pérature d’un porc vivant. Au-delà, la graisse se mettrait à fondre, ça ne serait pas bon ! »

Ce savoir-faire, Philippe Bouillon le tient de son père qui a fondé la maison en 1955. Mais l’histoire du jambon d’Ardenne est bien plus ancienne. « Dans ses récits sur la guerre des Gaules, Jules César écrivait qu’en Gaule on trouvait un très bon jambon : le jambon d’Ardenne ! » Plus récemment, le charcutier a dû présenter à la Commission européenne des cahiers de recettes des années 1940 pour prouver l’antériorité d’un autre produit : le saucisson d’Ardenne, cer­tifié IGP depuis octobre 2017.

Si le label IGP est un peu moins prestigieux que l’AOP, seule appellation 100 % terroir, il permet néanmoins à Philippe Bouillon de créer de nouveaux jambons. Seule contrainte : utiliser du porc. « Ce jambon-là est unique au monde, dit-il en saisissant une cuisse de cochon particulièrement sombre et grasse. C’est un jambon de mangalica, une race hongroise, préparé à la mode ardennaise. » Un jambon d’exception qui arbore aussi le logo IGP.


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