Pr. Philippe Legrand

Depuis 30 ans, le professeur effectue des recherches sur les lipides et enseigne la biochimie et la nutrition. L’expert a récemment sorti un livre « Coup de pied dans le plat ». Il explique au « JA mag » sa démarche et balaye certaines idées reçues sur l’alimentation.

Pourquoi avez-vous écrit ce livre ?

Pr. Philippe Legrand

Pr. Philippe Legrand

J’ai écrit « Coup de pied dans le plat » dans le but de rassurer nos concitoyens sur les aliments qu’ils consomment, car nous entendons régulièrement de nombreux messages médiatiques anxiogènes et de non-sens sur l’alimentation. Il faut contrer ces discours en vulgarisant les données scientifiques réelles pour rassurer et remettre le bon sens au centre des débats.

Quel est votre avis sur la synthèse des travaux de l’OMS qui incrimine la viande rouge ?

Tout d’abord, il faut expliquer que c’est une étude de corrélation qui ne démontre donc aucune relation de cause à effet. Dans ce genre d’étude, la corrélation observée est généralement liée à la présence de surconsommateurs de viande et au mode de cuisson au barbecue. En effet, ainsi préparée, la viande s’accompagne de la formation de composés cancérigènes (les hydrocarbures polycycliques). Ensuite, on observe que les gros mangeurs de produits carnés consomment peu de fruits et de légumes, qui sont eux plutôt protecteurs par l’apport des antioxydants. Ce que montre cette étude c’est surtout que l’excès est toujours associé à un risque. Néanmoins, il faut aussi rappeler que l’Homme est omnivore et que les produits animaux dont la viande sont très importants dans l’équilibre alimentaire et l’investissement santé. Le message médiatique qui prône le fait de ne plus manger de viande est porté par des mouvements qui ont du poids. Il faut lutter contre cet effet de mode en apportant des arguments simples et de bon sens et en ne considérant que des ajustements quantitatifs.

L’opinion publique peut-elle être influencée par cette étude ?

Je ne pense pas que les Français y soient vraiment sensibles, car leur bon sens et leur culture sont grands. Lorsqu’on explique de façon rassurante que c’est seulement l’excès qui pose problème, comme pour beaucoup d’autres aliments, l’opinion le comprend. Il faut aussi l’associer à une notion de plaisir. à contrario, les personnes qui s’accrochent au végétarisme, et surtout au végétalisme, seront bien sûr réfractaires à ces arguments-là.

Il faut rappeler que l’Homme est omnivore et que nous n’avons jamais aussi bien mangé qu’à l’heure actuelle.

Les filières de l’élevage français vivent des moments difficiles. Comment contrecarrer une étude comme celle de l’OMS qui a un impact médiatique si important ? Premièrement, il faut mettre en avant la question de la quantité des aliments que nous consommons. La nutrition ne condamne aucun aliment. Il faut seulement ne pas être dans le trop-plein. Il faut ensuite réexpliquer que l’Homme est omnivore, que la viande apporte des protéines animales, du fer et de la vitamine B12 et que nous n’avons jamais aussi bien mangé qu’à l’heure actuelle.

Ce message doit être porté auprès des médias en étant le plus clair possible et en utilisant ces trois idées. Les journalistes sont souvent plus maladroits que mal attentionnés. Mais tenir ce discours scientifique et équilibré ne plaît pas à tout le monde dès que l’idéologie ou les motivations très personnelles (respectables bien sûr) s’en mêlent. Il n’en reste pas moins que l’éviction d’un groupe d’aliment tel que les produits carnés constitue une prise de risque au regard de l’optimum de santé en particulier au cours du vieillissement et, bien sûr un risque énorme chez l’enfant. Les produits carnés peuvent-ils être remplacés par d’autres protéines dans des régimes végétariens ? Les végétaux sont également vecteurs de protéines, mais les protéines végétales ne valent pas les protéines animales.

Un adulte peut consommer uniquement des protéines végétales, mais il prend des risques. En outre, les produits carnés sont vecteurs (hors protéines) de nutriments indispensables comme le fer et la vitamine B12. L’absence de consommation de protéines animales et plus généralement de produits animaux est problématique chez les enfants ou chez les personnes âgées et peut entraîner de fortes carences ou manques. J’imagine la fureur de nombreux diététiciens qui voient en consultation des nourrissons qui ont une carence en produits laitiers. Et pour cause, les parents le remplacent par du jus d’amande. C’est en quelque sorte de la dénutrition provoquée. Ces parents imposent à leurs enfants leur idéologie, mais leur font courir de nombreux risques. Dans les pays en développement, la malnutrition protéique pose encore problème pour la croissance d’enfants.

Nous devons mesurer la chance que nous avons de manger à notre faim. Qu’est-ce que manger équilibré ? Il faut tout d’abord ajuster la quantité totale d’énergie ingérée aux dépenses énergétiques que nous faisons chaque jour. En quelque sorte, nous devons manger de tout, en quantité raisonnable. Le trop-plein est toujours nocif. Par ailleurs, trop de personnes ne mangent pas assez de fruits et de légumes, surtout chez les adolescents malgré de nombreuses campagnes de sensibilisation. Enfin, l’éviction de groupes d’aliments constitue toujours une prise inutile de risque.

Les Français diversifient-ils assez leur alimentation ? Il ne faut pas crier cocorico, mais les Français ont une alimentation relativement équilibrée. Bien qu’encore insuffisants, nos apports en oméga 3 sont plus élevés que dans beaucoup de pays occidentaux. Nous sommes aussi bien mieux classés que les États-Unis concernant les maladies cardiovasculaires et l’obésité. La gastronomie et la culture culinaire françaises expliquent probablement aussi cela.

Baisse de la consommation française de viande

La réduction de la consommation de viande est une tendance observée en France et dans l’ensemble des pays européens depuis les années 2000. Avec la crise économique de 2008, la tendance s’est accentuée. L’achat de produit carné est en constante baisse depuis. La charcuterie et les produits transformés moins chers sont désormais privilégiés à la viande de boucherie. L’achat global de viande a baissé d’environ 3 % entre 2003 et 2013. Selon une étude menée par Kantar Worldpanel, les catégories plus aisées mangent moins de viande que les moins aisés, mais la baisse s’est étendue à tous. Les classes moyennes restent les plus gros consommateurs de viande de boucherie. Cette tendance contraste avec l’évolution observée dans les pays émergents au sein desquels la consommation protéique augmente. La consommation mondiale devrait augmenter au rythme annuel de 1,3 % jusqu’en 2050.


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