Virginie veut gagner un temps d’avance grâce au comté

Virginie Bôle a mis dix ans à s’installer en production de lait à comté, dans le Doubs. Le succès de la filière la pousse à anticiper l’avenir de son exploitation.

« Nous avons pressé les maçons de finir les fosses, car sinon nous aurions dû chercher une étable vide pour passer l’hiver », raconte Virginie Bôle. Située à Longemaison, une commune du Doubs située en zone de montagne, la ferme de la jeune éleveuse et de son mari est en plein chantier. Les travaux – lancés à l’automne avec plus de deux mois de retard – devraient être finis pour le printemps. « On agrandit le bâtiment des laitières pour y mettre dix vaches en plus, ac­quises à mon installation. »

Cette jeune agricultrice de 33 ans a mis dix ans à s’installer en production de lait à comté. « La seule possibilité pour que je m’installe, c’était de trouver un petit peu de terrain (…), mais c’est difficile à cause de la pression foncière. » En effet, la filière comté impose à ses éleveurs une limitation de la productivité à l’hectare. Or, les terres de la zone AOP (Appellation d’origine protégée) attirent de nombreux candidats à l’installation. Sans comp­ter les héritiers de biens fonciers qui souhaitent conserver leur patrimoine familial. Après un pre­mier projet sérieux d’installation, finalement tom­bé à l’eau en 2013, la jeune femme a vu la chance lui sourire en avril 2018. « On était 33 candidats pour 40 ha de terres. J’en ai obtenu 25, en loca­tion », dit Virginie. Avant cela, elle épaulait son conjoint à la ferme tout en travaillant à mi-temps comme secrétaire-comptable.

« Une filière qui marche bien. » La filière comté rémunère bien ses éleveurs : « On est à 560 €/1000 l de lait », dit Virginie. Comme tous les autres producteurs, elle fait partie d’une petite coopérative : une « fruitière », seul lieu habilité à transformer le lait en fromage. La sienne s’appelle Les Fins-Comté : elle regroupe 31 fermes et est à la pointe de l’innovation. « Nous sommes parmi les premiers à avoir mis un distributeur de fro­mages en libre-service », raconte Virginie en dési­gnant l’automate situé à l’entrée de la coopérative. La machine arbore un logo bleu et jaune : une tête de vache surmontée de la casquette typique du fromager. « On l’a créé il y a six mois, pour nous distinguer », confie Thierry Arnoux, fromager de­puis 1982. En 2018, la coopérative a également investi 950 000 € dans le changement des moules, l’automatisation du pressage et du démoulage et le lavage des fromages en tunnel.

Quelles sont donc les raisons du succès de la filière comté ? « C’est une histoire d’hommes », commence Virginie. Car, pour faire du comté, il faut obligatoi­rement un mélange de laits is­sus de plusieurs exploitations. « On dépend les uns des autres, reprend la jeune éleveuse. Nous, les éleveurs, nous devons faire attention à la qua­lité du lait. Et le fromager et l’affineur sont chacun experts dans leur domaine. » Il y a aussi « tout ce qui correspond à la filière : la transparence, la taille humaine des exploitations, le travail à la main, le lien à une zone géographique », continue Virginie. Et le goût : 83 arômes s’expriment dans le comté selon le temps d’affinage et la flore présente dans le lait et sur la tétine de la vache. « Si toutes les filières prenaient l’exemple du comté, on aurait des paysans plus heureux en France », ajoute Virginie d’un ton convaincu.

Une refonte du cahier des charges pour évi­ter les débordements. Avec une production de 65 650 t et un chiffre d’affaires de 620 M€ en 2017, selon l’interprofession (CIGC), le comté a de beaux jours devant lui. Pourtant, la filière n’est pas épargnée par des « débordements ». À entendre Virginie, ils se comptent sur les doigts de la main, mais sont suffisamment importants pour déclencher une vaste révision du cahier des charges. Ainsi, le robot de traite est strictement interdit depuis le 1er juin, avec la parution de la décision C 187 au Journal officiel de l’Union euro­péenne. « Certains ont essayé d’introduire le robot de traite. Il fallait se prémunir contre ça, car ça ne correspond pas à la vision de la filière », estime Virginie. L’esprit de l’appellation comté, ce sont des « vaches qui paissent dans de grands espaces, rentrent pour la traite et res­sortent ensuite aux champs. »

Lancée en 2017, la refonte du cahier des charges devrait être finalisée dé­but 2020. La nouvelle version prévoit de durcir les règles de l’affourage­ment en vert. Elles visent, au départ, à éviter la fermentation butyrique du fromage. À l’heure actuelle, seul un repas par jour en affouragement en vert (consommé dans les 4 h) est autorisé. À partir de 2020, cette pratique sera limitée à 75 jours par an et interdite avant le 1er juin. « Certains y allaient tout le temps : des jeunes, qui ont repris des terres à 20 ou 40 km de chez eux en se disant “on ira chercher de l’herbe”, raconte Virgi­nie. La filière marche grâce au cahier des charges. Si certains veulent en sortir, ils le peuvent, mais ils devront valoriser leur lait autrement. »

La jeune femme assure que la filière AOP comté est à son optimum : « On ne pourra pas l’intensifier plus et on ne veut pas l’intensifier plus. » Elle songe déjà à des pistes de diversification au cas où ses jeunes enfants voudraient un jour s’installer : terrasse de fruits et légumes, culture de betteraves fourragères, déve­loppement de l’aromathérapie ou de l’agroforesterie. « Ici en Bourgogne- Franche-Comté, on dit qu’en 2050 on aura un climat du Sud. Il y a sûrement des choses à faire pour prendre de l’avance.

 

 


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