Deux casquettes et les pieds sur terre

Avant de reprendre la ferme familiale, Thierry Desforges a fondé la start-up monpotager.com. Une nouvelle manière de commercialiser et de communiquer auprès des citadins.

Créer une start-up avant de reprendre la ferme familiale ? C’est la trajectoire originale qu’a suivie Thierry Desforges. « J’ai toujours voulu reprendre la ferme familiale, raconte ce céréalier installé à Itteville (Essonne), entre Beauce, Hurepoix et Gâtinais. Mais j’ai dû attendre que mon père parte à la retraite, car nous n’avions pas assez de surface pour dégager deux salaires. » Depuis fin 2016, il est officiellement à la tête de l’EARL de l’Évangile et ses 190 ha de grandes cultures. Une nouvelle étape dans un parcours déjà bien rempli.

Après l’obtention de son BTS Acse en 2000, Thierry enchaîne sur un bachelor de cadre commercial en agrofourniture. C’est dans ce secteur qu’il travaille pendant près de dix ans, avant de créer monpotager.com en 2013. « Je me suis toujours dit que l’agriculture avait raté quelque chose : la distribution de nos produits.» « Qu’avons-nous, agriculteurs, que la grande distribution et l’industrie agroalimentaire ne peuvent pas offrir ? », se demande-t-il alors. Réponse: « notre savoir-faire.»

D’où son idée de proposer aux citadins – «80% des Français», comme il aime à le rappeler – de cultiver un potager virtuel. Le principe ? Les clients réservent une surface de potager chez des producteurs locaux et choisissent les légumes qu’ils veulent y faire pousser. Les agriculteurs les tiennent au courant de la vie de leur culture, du semis à la récolte, avec l’aide de l’équipe du site. Quand ils sont mûrs, les fruits et légumes sont récoltés, puis livrés dans un point relais choisi par le client. Une nouvelle manière de consommer et d’en apprendre plus sur l’alimentation, pour le moment réservée aux habitants de Lyon et de Paris.

Jeunes pousses de l’agriculture numérique. L’intérêt pour la cinquantaine de maraîchers fournisseurs ? Leurs clients s’engagent pour un an. Et ce débouché leur assure une meilleure valorisation, « entre 15 et 30 % de plus qu’en filière longue ». C’est aussi pour les producteurs un moyen de « communiquer différemment, de redorer le blason de l’agriculture ». Trois ans après sa création, monpotager.com compte 30 000 inscrits, dont 2500 clients réguliers. La start-up, qui emploie 10 personnes, s’adresse aussi aux restaurateurs. Une quarantaine d’entre eux se fournissent auprès de pro.monpotager.com, le pendant professionnel du site. Créé en février 2016, la branche pro compte pour «25 à 30% de l’activité». Une part appelée à augmenter : après les restaurateurs lyonnais, Thierry se prépare à proposer ses services à ceux de la capitale.

Thierry en est convaincu : « Le numérique est une des clés pour la compétitivité de l’agriculture dans un monde qui évolue. » En 2015, il participe avec quatre autres start-up à la création de la Ferme digitale. « Au départ, nous avions envie de nous regrouper pour exposer au Salon de l’agriculture en 2016, se souvient-il. Mais nous ne voulions pas en rester là et nous avons travaillé au projet de regrouper toutes les entreprises qui portent l’innovation en agriculture.» L’association (dont il est secrétaire général) regroupe désormais onze jeunes pousses de l’agriculture numérique. Drones, robots, capteurs connectés ou encore logiciels open source, elles forment un concentré des nouvelles opportunités qui s’offrent aux agriculteurs.

Du chanvre et du quinoa en Beauce. Pas facile de gérer de front une start-up, des responsabilités professionnelles et une exploitation ? Thierry reconnaît volontiers que ses journées – et ses soirées – sont bien remplies. Sans regret : « Reprendre la ferme, c’était un choix mûrement réfléchi. Mais j’ai aussi envie de créer quelque chose de nouveau.» « Je travaille beaucoup avec mon voisin, Éric Sénéchal », ajoute-t-il. Les deux trentenaires prônent le mutualisme dans un secteur plutôt individualiste. Leur projet ? Partager l’ensemble de leur parc matériel et en profiter pour passer à l’agriculture de précision.

À côté des productions beauceronnes classiques (blé, orge, colza et betterave), Thierry s’est lancé dans deux cultures plus innovantes : du quinoa et du chanvre. Le premier, « une culture très technique pour laquelle aucun produit n’est homologué », est vendu directement à des restaurateurs. Le chanvre, de son côté, symbolise toutes les ressources que peut offrir l’agriculture. Toutes ses parties sont valorisées, des fibres (panneaux d’isolation) aux graines (cosmétique, aliments pour oiseaux, appâts pour poissons) en passant par la chènevotte (partie ligneuse, litières et paillages et briques). « C’est une culture intéressante, elle a seulement besoin d’engrais, sans aucun autre intrant. Elle se développe très vite et nettoie les sols.» Ces nouvelles productions répondent au besoin d’allonger les rotations et de « travailler sur l’agronomie». « Très intéressé» par l’agriculture de conservation, Thierry envisage de réduire le labour. Son projet suivant? Convertir une de ses parcelles en maraîchage. Des légumes qui seront distribués sur monpotager.com.


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