Agriculture : choisir le modèle économique des fermes contre celui des firmes

Alors qu’une crise profonde, qui impacte presque toutes les productions animales et végétales, touche durement les agriculteurs de notre pays et d’Europe, alors que tous les observateurs en mesurent le caractère grave et structurel, alors même que tous les acteurs économiques et politiques se disent mobilisés pour trouver des solutions, il semble qu’on oublie un peu ces temps-ci de discuter de modèle agricole. Certains commentaires vont parfois jusqu’à suggérer que l’agriculture française serait un secteur condamné, un de plus. Nous n’y croyons absolument pas. Mais encore faut-il se poser les bonnes questions: de quelle agriculture avons-nous besoin? Quelle agriculture voulons-nous?

Si la réponse est présentée comme évidente pour certains – tellement évidente qu’elle est souvent implicite dans les discours – il n’est en revanche pas évident que cette réponse soit la même pour tous. Jeunes Agriculteurs, syndicat professionnel dont le renouvellement des générations en agriculture est la raison d’être, estime pourtant que c’est la première question à trancher avant d’examiner les solutions de long terme.

Difficile pour nous en effet de se satisfaire des constats qui laissent entendre par exemple que seule la «compétitivité» – un de ces mots-valise qui est d’autant plus consensuel et pratique que chacun y associe le sens qui lui plaît – de nos exploitations est en jeu. Que seule la taille des structures – forcément pas assez grandes – compte, ou que la diminution du nombre de chefs d’exploitations est une fatalité. Toutes ces affirmations – qui apparaissent d’ailleurs plus souvent sous forme d’insinuations – sont, au mieux, des raccourcis très simplistes. Le plus souvent ce sont des bêtises.

Car on attend beaucoup de l’agriculture: pour commencer qu’elle fournisse une alimentation en quantité suffisante, diversifiée et de qualité. Qu’elle soit dans le même temps le socle de l’économie et du dynamisme de nombreux territoires. Mais aussi qu’elle stocke du carbone, préserve la biodiversité, la qualité des eaux, la diversité des paysages… Tout cela, elle peut le faire, mais pas à n’importe quelle condition.

Nous sommes convaincus que les fermes, héritées du modèle familial, qui mettent les chefs d’exploitations à la fois à la tête du capital, des décisions et des pratiques, sont les plus résilientes, les mieux à même de relever ces défis nombreux qui sont posés à l’agriculture, les mieux à même de préserver l’environnement, d’intégrer les évolutions permanentes de nos métiers, d’intégrer des jeunes chefs d’exploitation qui ne sont pas issus du milieu agricole, les mieux à même de gérer les risques et les seules qui soient transmissibles.

C’est ainsi que nous les voulons nos fermes: avec des femmes et des hommes nombreux à leur tête. Et il ne s’agit pas là de «faire du social» comme on l’entend parfois. L’argument principal est économique: si nous voulons des agriculteurs les plus nombreux possibles, c’est parce qu’il s’agit de la meilleure garantie que nous puissions offrir pour favoriser la création de valeur sur nos territoires. Les exemples ne manquent pas dans le monde, de pays ou de régions qui ont choisi ou subi une dérive plus ou moins rapide vers des modèles agricoles de firmes et qui, du fait de la simplification à l’extrême des systèmes de production, se retrouvent à la fois endettées, peu créatrices de valeur, très exposées aux aléas et intransmissibles.

La modernité, nous le savons, nous le voyons, est ailleurs. Elle est dans des agriculteurs, entrepreneurs formés, polyvalents, connectés, acteurs professionnels de leurs territoires et de leurs filières, investis dans leurs outils économiques, tournés vers les consommateurs, responsables quant à leur environnement. Et la meilleure preuve que nous avons raison d’y croire sont encore les nombres, qui ne se démentent pas, d’étudiants dans les lycées agricoles ou d’urbains qui veulent se reconvertir dans l’agriculture.

Ce discours paraîtra sans doute très naïf à celles et ceux qui croient que la principale urgence est de mettre en place un plan de sortie du métier pour les agriculteurs en grande difficulté. Les situations de détresse existent. Elles sont de plus en nombreuses et elles interpellent tous les acteurs sociaux et économiques. Mais si nous ne les traitons qu’en accompagnant des gens en dehors du métier, alors nous aurons vraiment tout perdu. Avant d’envisager l’arrêt de l’activité, assurons-nous déjà d’avoir posé un diagnostic et mobilisé tous les autres leviers possibles. Et si arrêt il y a, orientons nos efforts vers la transmission de l’exploitation, pas l’agrandissement du voisin. C’est parfaitement compatible avec un objectif de rentabilité. Les formes sociétaires de gouvernance des exploitations, la mutualisation du matériel qui permet de réduire les charges de mécanisation, les ateliers collectifs, le regroupement de l’offre pour la commercialisation, la contractualisation, font partie des solutions.

Au-delà, dans leurs stratégies, nos filières, nos coopératives et même les industriels privés qui transforment nos produits, doivent affirmer le modèle agricole qu’ils veulent valoriser et lui offrir des perspectives. Les consommateurs aussi, qui expriment des attentes légitimes mais doivent se montrer responsables et cohérents dans leurs achats. Les agriculteurs, eux, les jeunes en tête, sont prêts à répondre à toutes les demandes, à diversifier leurs débouchés, à innover, à réinventer leurs modes de production et de commercialisation.

C’est l’engagement de chaque acteur politique, économique, des citoyens et des agriculteurs qui permettra de faire vivre ce modèle agricole auquel nous croyons.

TRIBUNE parue dans la rubrique FIGAROVOX du Figaro.fr 


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